Moi, personnellement, je ne supporte pas être enlevée par un mauvais kidnappeur...
Si je vois que le kidnappeur est mauvais, c'est simple, je me casse.
Professionnel ou pas.
Le mec, il a beau avoir un master en kidnapping, un BTS en demande de rançon, si je vois qu'il est pas "carré", je le plante, et je le laisse là, lui et ses cordes et je m'en vais...
...Avec tous les bons kidnappeurs qu'il y a en france, je vois pas pourquoi, moi, je me taperai un naze du kidnapping...
Dans ce cas-là, qu'il change de voie...Qu'il fasse autre chose..fleuriste, berger, huissier..je sais moi..mais qu'il laisse aux autres cette vocation...
Parce que pour d'autres, par contre c'est vraiment une vocation.
Voire pour certains, c'est même plus une vocation, c'est un art...
Et le mec d'hier, par exemple, c'était un artiste.
Ca a commencé, comme pour tous les kidnapping: à un moment où je m'y attendais pas.
Hier, après avoir constaté que le monsieur que je devais remplacer au lycée avait survécu à sa maladie et était revenu, je me retrouvais dans un extrême désarroi..obligée de ne pas travailler durant toute la journée d'hier..flûte, alors, sa mère li popette..
Après avoir emboucané de ma présence un couple d'amis chez qui j'aime particulièrement m'aincruster (version provençale de s'incruster), je suis descendue au centre ville, rue St ferréol, pour y faire une course.
Alors que je m'apprêtais à rentrer dans le magasin Virgin pour m'y acheter des cd gravables, un jeune homme, 25 ans environ, habillé d'un trench noir classe surmonté d'une petite écharpe noué autour du cou, me dit:
"Bonjour madame, excusez-moi...est-ce-que, à tout hasard, vous auriez une matinée à m'accorder?"
Une matinée..?
Euh..visiblement le monsieur ne fait pas des sondages..ou alors, pas ceux qu'on note avec un stylo...
"Euh une matinée.. mais..euh..pourquoi une matinée?.."
- En fait, je travaille pour un salon de coiffure qui propose des services..un peu, comment dire...d'exigeance..des prestations et des produits qui sont vraiment de qualité...et donc, si vous aviez un peu de temps, je vous propose de profiter ce matin de ces services...je vous l'offre...
- Mais..euh..comment vous dire..vous voyez un peu comment je suis habillée...moi, vous voyez, ça me fait très plaisir que vous m'offriez une coupe de cheveux et tout...mais je pense pas correspondre à la clientèle que vous recherchez....
- Non, mais ça c'est pas grave..
- Non, mais je préfère vous le dire..disons que si vous êtes là, dans le but d'amener, dans votre salon, des clients susceptibles de venir par la suite, il vaut mieux que vous l'offriez à quelqu'un d'autre..parce que moi, je paierai jamais plus de cinquante euros pour une coupe...vous voyez quoi...
- Ecoutez, c'est pas un souci, c'est juste que moi, j'ai un quart d'heure pour trouver quelqu'un...
- Ah bon...
- En plus, je vois que vous avez les cheveux longs, au naturel...
- Ah...bon..ben..ma foi.. allez, d'accord...
- Super, suivez-moi...
Et là, je le suis...donc je le pense.
Nous nous dirigeons, rue Davso. On sonne à l'entrée d'un immeuble sur la porte vitrée duquel il est écrit :
"FACE Spirit" (..l'esprit de la face?)
La porte s'ouvre, le jeune homme me désigne l'escalier en face, je monte les marches à ses côtés.
Je lui dis: "Par contre, c'est un peu dommage, parce que là, j'ai prévenu absolument personne...donc là, si vous me trucider à la hache et que vous cachez mon corps dans un coin, personne ne pourra me retrouver.."
"C'est vrai...mais c'est pas vraiment ce que j'ai prévu.."
Au premier étage, une deuxième belle porte vitrée s'ouvre, un homme la quarantaine, habillée un peu fashion mais version simple (jean slim, chaussure pointue, petite écharpe) me salue, me précède et me montre le "salon de coiffure".
Dans ce bel appartement type haussmanien, la grande pièce qui donne sur la rue fait office de coiffure de prestige.
Les murs de la pièce sont blancs surmontés d'immenses photos de "haute coiffure" (l'équivalent capillaire de la haute couture), et de part et d'autre de la pièce, de grand meubles présentent les produits et la documentation pour "cheveux de luxe".
Au centre, un "plan de travail" en fer forgé portent six grands miroirs en face des desquels les clients s'assoient sur de beaux fauteuils moelleux en cuir noir.
On me fait assoir sur le siège central... et pour satisfaire la nouvelle femme de prestige qui se cache en moi, on m'offre un nespresso.
"Allez-y, buvez votre café tranquillement, je reviens"
"Je savais bien que ça allait mal tourner... c'est maintenant que vous allez chercher la hâche...c'est ça?"
" Non, pas encore, je vais d'abord vous couper les cheveux...la hâche, on fera ça après".
Une fois le café bu, mon hairnappeur revient, me fait détacher les cheveux...pour les ausculter avant de me dé-tâcher les dits cheveux.
Il se place dans mon dos, et en me regardant dans le miroir me dit:
"Alors...vous avez une belle longueur...sur une base très naturelle...ce que je vous propose c'est qu'on conserve cette base là, mais qu'on fasse en sorte de la sublimer...c'est à dire reprendre peut-être le dégradé notamment pour adoucir les mèches qui encadrent votre visage... vous allez souvent chez le coifffeur..?
- Non, la dernière fois, c'était, il y a un an... et j'avoue que j'ai un peu subi un attentat capillaire...je voulais une frange légère, je me suis retrouvée avec la coupe de lady gaga...
- Ah, c'est sûr...effectivement vous avez des mèches plus courtes là...elle vous avait fait un casque si je comprends bien...Ok...et sinon, en terme de couleur....je vous propose qu'on reste vraiment sur quelque chose de naturel...mais qu'on essaye d'illuminer le tout...par un méchage léger..qui ne parte pas de la base...histoire que vous vous retrouviez pas avec des grosses racines...vous voyez....? Attendez...."
Il revient avec un magazine où pose Eva mendes (du moins je crois) en une.
"Dans ce genre là..."
- Ah ouais...dans ce genre là...
- Oui, en fait, vous allez être exactement comme ça à la sortie. La même..une bombe atomique, quoi...non, je plaisante (mince)..mais pour la coupe et la couleur, ça vous va..?
- Oui, oui, je vous fais confiance...de toute façon, maintenant que je vous ai suivi jusqu'ici..."
On m'installe au bac, et je me fais laver les cheveux...Là, je me bénis d'avoir accepter la proposition malhonnête car d'habitude, c'est pas chose facile de se masser soi-même le crâne, alors que c'est vraiment excellent.
"Vous vous sentez en décalage?
- Pardon?
- Là, vous vous sentez en décalage..? Tout à l'heure dans la rue, vous m'aviez dit que vous seriez sûrement en décalage avec notre clientèle, et tout..mais vous voyez, en fait, ça va...vous vous sentez pas mal à l'aise là..?
- Euh non..."
Après, le rinçage et le pénible démêlage, vient l'étape de la coupe de cheveux. On me fait retourner à ma place, serviette sur la tête. Là, après une rapide auscultation de mes cheveux, je vois le regard un peu perplexe du coiffeur qui
regarde ma nuque.
"Euh, oui, je sais ce que vous regardez....dessous, j'ai des mèches beaucoup plus courtes...parce qu'en fait, il y a 4 jours, j'avais un gros noeud dans les cheveux de dessous, à cause de l'écharpe...j'ai commencé à démêler mais ça m'a gonflé, alors j'ai tout coupé..."
"Oui...vous vous êtes fait un carré court, quoi...mais que dessous...bon...c'est pas grave..il en reste des cheveux...
Alors vous voyez, là, ce qu'on va faire, ce que premièrement, on va tâcher de fondre mieux la frange au reste..vous voulez la gardez la frange?
- Oui.
- Oui, donc on va juste la dégrader...et ensuite, ce qu'on fera.."
"Jo, pardon, je t'arrête deux secondes."
C'est l'homme plus âgé qui vient de l'interrompre.
"Jo, si une cliente te dit qu'elle veut conserver sa frange, et notamment si elle te dit avant qu'elle a subi "un attentat capillaire", tu peux pas en réponse à cela lui dire, que tu vas la dégrader, sa frange...dégrader, pour une cliente, ça veut dire couper...or, une cliente après un accident de coiffure, elle a besoin d'être rassurée, tu vois...elle va se braquer sinon, si tu lui dis que tu veux couper alors qu'elle veut pas...donc, dans ce cas là, tu banis "dégrader" de ton vocabulaire, et tu lui dis "restructurer"..ou autre chose...fais attention à ça.."
Ah bon..je pense tout ça...quand on me dit "dégrader"..?
En tout cas, je comprends que là, mon "Jo", tout d'habits noirs et moulants vêtus, est en évaluation aujourd'hui...sur ma tête...
Jo me coupe les cheveux. Tchack-tachk-tchak...tchik-tchik-tchik...les cheveux tombent au front...
Le patron passe derrière, et vérifie que le coté droit et gauche soient raccord, et enseigne à mon petit coiffeur, comment retailler une frange comme la mienne...
"Après avoir dégager la frange..tu dessines un arc de cercle...comme en C..tu vois...en pratiquant des micro-coupures, tu vois...comme ça, ça crée un tuteur...sur lequel repose ensuite la masse de la frange..tu vois.."
Ma chevelure est un jardin,quoi.
Plus d'une heure est passée, je comprends que je serai en retard à mon rdv de midi...j'envoie une première vague de textos., quand vient en renfort de mon coiffeur, la coloriste.
Jo m'explique son projet, et espère par là, obtenir en même temps, l'aval de la demoiselle "pro du pigment".
"Ce que j'aimerai faire, c'est vraiment conserver ce coté très naturel de votre chevelure, tout en illuminant l'ensemble...réhausser par un léger balayage les reflets chauds que vous avez déjà...notamment sur l'encadrement de votre visage...et.."
Soudain, devant ma tête de pouilleuse perplexe qui n'ait jamais subie que des colorations artisanales "made in chez soi", il s'interromp lui-même: " Je suis désolé...je suis en train de faire un blabla chiant de coiffeur, c'est horrible... bref, vous voyez ce que je veux dire.."
Et là, mon petit "Jo" et sa collègue me concocte un truc à l'artillerie lourde, le blockbuster des cheveux...
D'abord le méchage.
Jo étale de la pâte blanche sur quelques mèches de cheveux... il passe ma tête au four. Un quart d'heure plus tard:
" Alors, vous êtes devenue une blondasse?"
Pas encore visiblement.
Devant ce peu de changement, il décide de sévir un peu..
"Oui, parce que le but, même si ça reste naturel, c'est que vous sortiez un peu changée...sinon mon patron, il va me dire: Jo, tu vois la porte, là..?.."
Il se met donc en tête "d'illuminer toute la chevelure de façon très légère"...
"Vous allez voir, c'est excellent, j'adore faire ça!".
Deuxième étape donc: l'illumination capillaire.
Il se tartine les deux mains pleine d'une seconde crème, et "froisse" doucement mes cheveux. Temps de pose: 10 minutes de four.
Puis vient, après un rincaçe, la troisème étape: une coloration flash d'ensemble pour donner un teint "chaud" à ma chevelure.
Au bout d'une heure, mes cheveux sont définitivement tout illuminés.
Mais reste encore le brushing...
En attendant que monsieur sorte ses brosses, je préviens mes copines que mon ravisseur ravissant ne me relâchera pas encore, et qu'il ne faut plus compter sur moi pour manger à midi (vue qu'il est déjà une heure et demi).
Il range ses ciseaux au profit de trois brosses.
"Combien, ça coûte des ciseaux de coiffeur?
- Ca dépend...ça dépend du modèle, de la marque..
- Ceux là?
- Ceux-là, les miens...ils m'ont coûté environ...deux bras...
- des bras d'enfants...?
- d'enfants?
- ben, des bras neufs.
- Ah oui, ils coûtent deux bras neufs... c'est pas des bras d'occasion, c'est sûr...
- et tout ce que vous m'avez fait là, ça me reviendrez à combien..?
- Ah, ben...là, sur votre tête...ça vous fait plusieurs bras..."
Dernière heure de kidnapping : brushing, coiffage, sculptage de mes cheveux.
"Alors ça vous plaît?
- Oui, c'est très joli... je suis un peu honteuse d'être aussi mal habillée du coup..
- Vous savez quoi, ce qu'on pourra faire éventuellement, on tentera de renforcer le méchage si ça vous fait pas trop peur, la prochaine fois que vous venez...c'est à dire....euh...jamais...en fait...haha...
Bon, c'est pas grave...en tout cas, merci d'être venue..
- Merci à vous..dire que je voulais juste m'acheter des cd gravables, en fait, au départ...bonne journée..
Et voilà, au bout de trois heures et demi d'enlèvement, mon kidnappeur a enfin eu pitié et m'a relâché, moi et ma chevelure d'Eva Longoria (l'allure et le divorce en moins).
J'avais prévu de passer une journée comme les autres...et ça n'a pas marché..à cause du fameux kidnapping..
En fait, pour dire vrai, j'ai menti.
Hier, je n'ai pas vraiment été kidnappée...
..non, j'ai été kidn'happy...