Mon père n'est pas un chat.
Les chats ont 9 vies.
Seulement.
Alors que mon père....
Donc, pour ceux qui aurait raté le compte entamé, nous en sommes à 2-0 pour le moment, pour mon père, puisqu'il n'est ni mort explosé par une grenade, ni noyé dans un naufrage.
Suite du match entre mon père et la grande faucheuse:
Il était une fois mon père en provence.
A cette époque, mon père était un peu plus jeune qu'il ne l'est maintenant (et a bien failli le rester indéfiniment, gravé sur une plaque de marbre). Environ la trentaine, je crois.
Il était parti, comme souvent à cette période là, faire de la spéléo avec des amis à lui, dans les grottes, gouffres et crevasses qui creusaient les roches calcaires de sa région provençale.
Avec trois de ses compères, il s'était ainsi mis en tête d'explorer une des galeries rocheuses qui entaillait le massif de la Ste Baume.
Le jour arrivé, tous partent chargés de matériel (cordes, lampes, mousquetons, casques, piolet, baudrier...) à l'assaut du gouffre étendu à ciel ouvert.
Les conquistadors, ainsi vêtus, s'apprêtent à partir, puis à descendre dans ce creux, quand soudain il se met à pleuvoir.
D'abord des petites gouttes puis des grosses (des bonnes grosses gouttes dignes des pluies de par chez nous).
Rien de bien méchant, mais l'eau ruisselle, se mélange à la terre au sol, il se forme de la boue, toutes les parois deviennent un peu glissantes, casse-gueule...et les quatre hommes ont du mal à voir où ils vont.
Ils se guident mutuellement, tatonnent le terrain, essuient leur front trempé, descendent péniblement, et essayent d'éviter qu'un faux pas ne les fassent se fracasser un peu plus bas.
Leur progression incertaine finit quand même par aboutir: descendus bien bas, ils sont à l'abri de la pluie.
Tels des spéléologues amateurs de spéléologie, les 4 gonzes avancent tranquillement dans les galeries souterraines (galeries qu'ils connaissent quand même un peu, soit pour les avoir étudiées, soit pour les avoir pratiquées auparavant), allant à la force de leurs bras, leurs jambes, et leur mental, de tuyau en tuyau, de tunnel étroit à conduit escarpé jusqu'à ce que, à un moment donné, ils arrivent dans une espèce "salle" rocheuse, un vaste espace où il fait bon respirer et s'assoir.
Les 4 masochistes (oui, parce qu'il faut bien être masochiste, à mon avis, pour s'enterrer, de son plein gré, sous plusieurs milliers de tonnes de roches) décident donc de s'installer là pour casser la croûte.
Chacun pose son sac, pose son cordage, enlève son casque, défait l'attirail, puis sort de son sac son sandwich, sa bouteille, sa gamelle.
Les quatre hommes, un peu fatigués de la "marche" tchatchent tout en partageant le pain.
Blablabla...euh....blobloblo...Bloblobloblo.....
(quatre hommes qui tchatchent, ça fait souvent un bruit plus grave que blablabla..)
Alors que les mousquetaires sont en pleine discussion, un bruit sourd s'installe en fond sonore... Ou plutôt deux bruits sourd.
D'abord un vrombissement : BrrrroooOOOOOOOOURRRRRR... suivi ensuite d'un bruit plus aigu: viiiiiiiiisch...
Les hommes papotent encore quand soudain, le bruit se répète.
L'un d'entre eux finit par attirer l'attention du petit groupe sur la symphonie calcaire qui est en train de se jouer:
"Ho, écoutez...ho, mais tais-toi, deux secondes, et écoute...
(BBrrrrrrrooooOOOOuuRRR....)
C'est quoi ça..? Vous l'avez entendu?
- Ouais...Ma foi... Chuut... Ah ouais, ça reprend...
(BrrrrooooOOOOOOOOOuuUUR......Viiiiiiiiiiiiissssschhhh.....)
Mais qu'est-ce-que c'est ce bordel?
Tous se taisent.
Et écoutent.
Une minute, peut-être deux s'écoulent.
Les deux bruits reprennent mais se rapprochent.
Le vrombissement résonne, suivi du sifflement tenace.
- Ca fait comme un bruit d'eau, on dirait...
- Attends, mais attends... Merde...c'est... Merde! MERDE!! Oh, putain! Oh, putain, les gars!!! C'est les siphons qui se remplissent ça!!! Magnez-vous!!! MAGNEZ-VOUS!!!
Les siphons étaient en train de se remplir.
En effet, pendant que ces messieurs étaient sous terre, la pluie n'avait cesser de tomber.
Par averses, à grand coup de seau d'eau célestes, l'eau était tombée et s'était infiltrée dans crevasses qui s'ouvrait à ciel ouvert. Plusieurs milliers de litres d'eau venaient de s'engouffrer en quelques heures dans les galeries souterraines.
Minute après minute, la vague piégée sous terre remplissait chaque "salle" rencontrée sur son passage, et chaque "remplissage" faisait trembler les parois de la cavité (BrrrrooooOOOOOOUR). Dès que l'une était pleine, l'eau finissait par se vidanger dans la suivante, passant par le conduit le plus proche et provoquant un sifflement aigu...(viiiiiiissscchhh...).
ALLEZ, BORDEL!! MAGNEZ-VOUS!!!
Sans chercher à comprendre vraiment les dires du sonneur d'alarme, les 3 autres se précipitent sur leur affaires éparpillées sur le sol. Dans la panique, les quatre se bousculent, trébuchent, se gueulent dessus.
- Laisse tomber la bouffe!!! Il faut qu'on dégage! Prends ta lampe! Ne prends que TA LAMPE!!! MAAAAGNE!!
Les deux bruits reprennent, plus fort, plus proches.
Les quatre hommes se dépêchent. Ils ont très peu de temps, ils le sentent. Ils sont sur le passge de la vague.
Ils ne peuvent pas repasser par leur chemin d'arrivée, ils passent donc par l'autre coté. Ils se hissent, grimpent, se faufilent, s'écorchent sur les parois rocheuses, se dégagent comme ils peuvent des conduits serrés, se poussent, se tirent, s'extirpent de la roche, y laisse de leur peau pour sauver la leur.
La sortie est proche, ils le savent, mais les bruits persistent, s'intensifient.
Allez, allez, allez!!! Putain, dépêche-toi, merde!
La sortie est à quelques mètres.
La vague aussi visiblement.
Les quatre jouent des coudes et jouent leur vie. Ils accélèrent comme ils peuvent leur progression vers la sortie. Le premier aperçoit la fenêtre de lumière.
C'est bon, c'est bon, on y est!! Dépêchez- vous!!
Le premier se débat presque de la galerie pour en sortir. Et de un.
Suivi de près par le second. Ouf.
Les deux premiers se retournent vers le trou et appellent les deux autres: "Allez, allez, dépêchez vous!!!
Et de trois. Puis de quatre.
Ouf. Les quatre ont à peine le temps de se redresser, de reprendre un peu leur respiration, et de compter jusque'à 20* que...
20, 19, 18, 17, .....8, 7, 6, 5,4, 3...2....1... VLAAAAAASSCH!!!!
* là, peut-être, je mens...je sais, ça fait très film américain...mais dans la bouche de mon père aussi, ça sonnait très américain... Le souci, c'est que d'habitude, j'ai mon père sous la main pour extorquer des infos si besoin, mais là, mes parents sont partis à Tahiti pour un mois, alors bon.... Cela dit, je sens qu'en plus des perles noires, ils vont ramener des chroniques bien fraîches... Parenthèse terminée.
L'eau jaillit.
L'eau jaillit et se répand à coup de centaine de litres sur le sol, étalant dans sa course toutes les affaires volées, un peu plus haut, aux spéléogues piégés.
Le casse-croûte en charpi, des mousquetons perdus, des bouts de corde...tout a été emmené, lessivé par la vague...
Tout vient d'être projeté au sol, entraîné par les flots...
La cascade improvisée persiste un temps, faisant jaillir l'eau à plusieurs mètres du point de résurgence... puis doucement la source folle s'affaiblit...
Et dans l'eau boueuse, flottent les affaires malmenées des quatre spéléologues...
mais pas les spéléologues eux-mêmes.
Le lendemain, le journal local titra "Quatre jeunes spéléologues échappent à une mort atroce".
Et ma grand-mère engueula mon père.
Bref, bilan de cette aventure:
Jo l'embrouille: 3 - la grande faucheuse: 0
Cela dit, entre nous, deux remarques:
1) On appréciera l'originalité du contexte quant au mode de mort tenté.
Autant mourir noyé dans un naufrage en pleine mer, c'est banal... autant, mourir moyé au sommet de la Ste Baume, ça l'est moins.
2) Note à moi-même: il vaut mieux éteindre le feu sous la casserole (qui était censée réchauffer la soupe de poisson) AVANT d'entamer la rédaction d'une chronique comme celle-là...
Heureusement que j'ai pas fini le pack de soupe et que j'ai d'autres casseroles à faire brûler.